Son regard était comme une flamme douce, invisible pour les autres, mais capable de me brûler de l'intérieur. J'essayais de l'ignorer, de calmer les battements précipités de mon cœur avec la logique, mais chaque fois que je le croisais, la logique s'évaporait.
Je n'aurais pas dû me retrouver dans cette situation. Je n'aurais pas dû désirer ce que je désirais. Mais comment contrôler ce qui échappe à la raison ?
Je m'appelle Camille, j'ai trente deux ans, marié depuis dix ans à Martin. Un homme solide, rassurant, celui qui te donne l'impression que rien ne peut arriver. Nous avons une fille Zoé qui a sept ans et un rire qui ferait fondre la neige. Nous vivons à Lyon dans un quartier résidentiel calme, entre petites ruelles pavés et terrasses fleuries. À première vue, notre vie semble parfaite, presque enviée. Mais parfois le calme cache des silences
plus profonds.
Martin travaille beaucoup. Il a toujours été ainsi ponctuel, organisé, presque mécanique dans son affection. Et moi, moi j'ai appris à sourire même quand je me sentais invisible.
Puis comme un vent venu du passé est arrivé Julien, un vieil ami de Martin qu'on n'avait pas vu depuis des années. Il revenait de Montréal après avoir vécu là-bas une décennie.
Son regard portait les histoires qu'il ne disait pas et sa voix, sa voix pouvait faire taire les pensées.
Le jour où il a franchi le seuil de notre maison avec une bouteille de vin sous le bras et ce sourire déstabilisant, Jésus...Lorsqu'il m'a prise dans ses bras, j'ai senti ce frisson. Un peu trop long pour être amical, un peu trop vrai pour être innocent.
Au début, tout était parfaitement banal. Julien venait dîner, parlait de souvenirs avec Martin, jouait avec Zoé, nous faisait rire. Mais ses yeux, ses yeux me cherchaient. Parfois nos regards se croisaient une seconde de trop et cette seconde suffisait à faire naître quelque chose.
Un soir, Martin était resté tard au bureau. Julien est passé juste pour me rendre un livre, a-t-il dit. On a bu un café. La conversation s'est allongée. On a parlé de rêves, de choix, de regrets. Puis il y a eu un silence. dense magnétique.
- Camille, tu sais que ce n'est pas juste un café, hein ?.
J'ai arrêté de respirer. J'avais mis une réponses toutes prêtes. Aucune ne sortit. Le fil avait été franchi. À partir de ce moment, Julien a commencé à apparaître plus souvent.
Il trouvait des excuses, un message, une course, un croisement dans le parc, mais rien n'était anodin. Une fois, il m'a effleuré la main en me tendant un sac d'orange, une décharge.
Puis une nuit, Martin était à Paris pour deux jours. Zoé dormait chez mes parents. Julien est venu. Il m'a dit cinq minutes, juste pour parler. Mais on savait tous les deux que ces
cinq minutes n'étaient qu'un prélude. Assis sur le canapé, il m'a regardé comme s'il cherchait quelque chose dans mes silences.
- Je n'arrive plus à t'effacer de ma tête, Camille.
Il a pris ma main. Je ne l'ai pas retiré. Mon cœur battait si fort que j'en avais le vertige.
Le salon devenait un piège. Mon souffle était court, mais je ne disais rien.
Une autre nuit, dans un petit bar caché des hauteurs de la ville, il m'a regardé droit dans les yeux.
- Si je ne te dis pas ce que je ressens, je me trahis.
Il m'a effleuré la joue. J'ai fermé les yeux juste un instant. Puis mon téléphone a vibré. C'était Martin.
- Tout va bien mon amour.
Sa voix m'a ramené brutalement. J'ai regardé Julien, ses yeux remplis de désir et j'ai compris. J'étais sur le point de franchir une ligne invisible. De retour chez moi, je me suis regardée dans le miroir. Est-ce que j'étais encore Camille, la mère, l'épouse ? Où étais-je devenue une autre ?
Depuis ce soir-là, j'ai arrêté de répondre au messages de Julien. Mais chaque nuit, son image revenait. Le désir ne partait pas, la culpabilité non plus. Encore aujourd'hui, chaque fois que je passe devant ce bar, un homme serre la gorge. Je ne sais pas si j'ai fait le bon choix, mais certains regards, certains instants vivent en nous longtemps. Trop longtemps.
Les jours suivants furent un étrange, mélange de soulagement et de manque. Je croyais avoir mis un terme à quelque chose de dangereux, mais en réalité, j'avais seulement fermé les yeux sur un feu qui continuait de brûler en moi. Julien s'était effacé. Aucun message, aucun appel. Et pourtant, je sentais sa présence partout dans les lieux que nous avions partagés, dans les musiques que je n'osais plus écouter, dans les gestes
que je faisais par automatisme et qui m'évoquaient les siens.
Martin, lui, était toujours le même, présent, prévisible, gentil. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher de le regarder avec une étrange culpabilité. Il ne méritait pas mes silences, mais je n'étais pas prête à les briser. Un après-midi pluvieux, alors que je sortais de la boulangerie, je l'ai vu. Julien, sous un parapluie noir, seul me regardant comme si le temps s'était arrêté. Il ne s'est pas approché. Il s'est contenté de me sourire et j'ai compris que ce n'était pas fini.
Ce soir-là, Martin était de garde à l'hôpital. Zoé dormait profondément et moi, je n'arrivais pas à penser à autre chose qu'à ce regard. J'ai pris mon téléphone. J'ai écrit un simple « tu veux venir ? » Il a répondu par trois lettres. « Oui. »
Lorsqu'il est entré, il pleuvait encore. Ses cheveux étaient humides, son manteau trempé, mais ses yeux étaient clairs, décidés, presque fébriles. Nous ne nous sommes pas parlés. Nous savions. Ce qui s'est passé ensuite n'était pas prévu. Ou peut-être que si. Peut-être que chaque silence, chaque regard, chaque soupir nous avait mené ici. Les gestes étaient lents, tendres, mais chargé d'une intensité contenue trop longtemps. Mon cœur battait à tout rompre et chaque frisson me rappelait à quel point je m'étais oublié ces dernières années.
Le lendemain matin, il était encore là. Je me suis réveillée avant lui. Je l'ai regardé dormir si paisible, si proche et si étranger à la fois.
- Je dois partir, a-t-il murmuré en se réveillant.
Je n'ai rien dit. Je savais que cette nuit resterait entre nous. Unique, inoubliable et peut-être impossible à revivre. Mais voilà, ce n'était pas la fin. Julien ne disparut pas. Au contraire, il revint encore et encore, parfois pour une heure, parfois pour un regard volé
dans une ruelle. Et moi, j'alternais entre passion et panique. Mon cœur appartenait à deux hommes, mais moi, moi je ne m'appartenais plus.
Un jour, Martin est rentré plus tôt que prévu. J'étais dans la salle de bain, encore tremblante d'une visite trop brève de Julien. Mon reflet dans le miroir était flou. Martin est entré. Il m'a regardé longuement.
- Camille, est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre ?
Cette phrase m'a transpercé. Je n'ai pas menti. Je n'ai rien dit. Et ce silence, ce silence a tout révélé.
Les semaines qui ont suivi furent glaciale, Martin ne criait pas. Il ne posait plus de questions. Il se contentait d'exister à côté de moi. Et moi, je me noyais dans une tempête que j'avais déclenché. Julien lui, voulait qu'on parte ensemble ailleurs, qu’on recommence. J'ai failli dire oui, vraiment. J'ai imaginé une vie sans secret, sans mensonge, sans regards évités au petit-déjeuner.
Mais j'ai pensé à Zoé, à Martin, à tout ce que j'avais bâti. La dernière fois que j'ai vu Julien, c'était dans ce café du Vieux Lion. Il m'attendait déjà. Je suis arrivé en retard exprès. Peut-être pour écourter ce que je savais être une fin.
- Je ne peux pas ai-je dis simplement.
Il a baissé les yeux, il a hoché la tête, puis il m'a souri. Un sourire triste, celui qu'on garde pour les souvenirs qu'on oubliera jamais.
Je suis rentré chez moi. J'ai tout dit à Martin, pas pour qu'il me pardonne, juste pour qu'il sache, pour qu'on arrête de vivre dans des zones grises. Il a pleuré. Moi aussi, mais il m'a tendu la main et j'ai su que peut-être tout n'était pas perdu.
Aujourd'hui, il reste des blessures, des cicatrices que je porte en silence. Mais il y a aussi une vérité. J'ai aimé, j'ai désiré, j'ai failli tout perdre et j'ai appris.
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